Une pédagogie de la douceur.

 

 

Douceur et fermeté.

 

« L’une des bonnes pratiques de la douceur, c’est à l’égard de nous-mêmes, ne dépitant jamais contre nous-mêmes ni contre nos imperfections. Même si la raison veut que, quand nous faisons des bêtises, nous en soyons contrits, il faut néanmoins que nous nous empêchions d’en être aigris et chagrins, dépités et en colère. Ainsi certains s’étant mis en colère, se courroucent de s’être courroucés, entrent en chagrin de s’être chagrinés, et ont dépit de s’être dépités. Par ce moyen ils tiennent leur cœur confit et détrempé en la colère même s’il semble que la seconde colère ruine la première. En fait, elle ouvre le passage pour une nouvelle colère à la première occasion qui se présentera, d’autant plus que ces colères, dépits et aigreurs que l’on a contre soi-même tendent à l’orgueil et n’ont d’autre origine que notre amour propre, qui se trouble et s’inquiète de nous voir imparfaits.

Croyez-moi, … : comme les remontrances d’un père faites doucement et cordialement, ont bien plus de pouvoir sur un enfant pour le corriger que les colères et courroux, ainsi, quand notre cœur aura fait quelque faute, si nous le reprenons avec des remontrances douces et tranquilles, ayant plus de compassion de lui que de passion contre lui, l’encourageant à l’amendement, à la repentance. Cela aura un effet plus positif qu’une amélioration que l’on ferait par dépit contre nous-mêmes.

(IVD 3ème partie,ch 9. Douceur envers nous-mêmes)

 

(François utilise un geste liturgique – l’onction – et en donne un sens peu connu, assez original).

 

… « Apprenez de moi, car je suis doux et humble de cœur (Mt 11, 29) ». L’humilité nous perfectionne envers Dieu et la douceur envers le prochain. Le baume, … qui prend toujours le dessus parmi tous les liquides, représente l’humilité ; et l’huile d’olive, qui prend toujours le dessus, représente la douceur et bonté, qui surmonte toutes choses et excelle entre les vertus comme étant la fleur de la charité …
… Il faut vraiment résister au mal et réprimer 13 les vices de ceux que nous avons en charge, constamment et vaillamment, mais, doucement et paisiblement. Rien ne mate tant l’éléphant 14 courroucé que
la vue d’un agnelet, … On n’apprécie pas autant une remarque ou une correction qui sortent de la passion, quoique accompagnées de raison, que celle qui n’a aucune autre origine que la raison seule. … Quand la raison est accompagnée de la passion, elle rend odieuse. … Les princes honorent et consolent infiniment les peuples quand ils les visitent avec un train de paix ; mais quand ils conduisent des armées, … leurs venues sont toujours désagréables et dommageables, parce que même s’ils font exactement observer la discipline militaires chez les soldats, il arrive toujours du désordre par lequel l’homme est foulé aux pieds. Ainsi, tandis que la raison règne et exerce paisiblement remarques et sanctions, même avec rigueur, chacun l’aime et l’approuve. Mais quand les remarques s’accompagnent de colère et passion, la raison se rend plus effroyable qu’aimable, et le meilleur de la raison est refusé, maltraité … »

(d’après IVD 3ème partie, ch 8 Douceur envers le prochain et remède contre la colère).

 

Avant de sanctionner, risquer le dialogue.

 

A un curé, François demande de venir le voir pour régler un différend entre ce curé et ses paroissiens. François de Sales n’use pas de « on m’a dit que ». Il dit ce qui en est, très clairement et ne tranche pas les situations avant que les personnes concernées aient pu s’expliquer. Remarquons aussi au passage la fraternité dans le sacerdoce qu’exprime Fr. de Sales dans la signature de sa lettre.

« Monsieur le Curé,

Les paroissiens de votre église sont venus aux plaintes vers moi pour le manquement du service, et monsieur Exertier est venu pour son particulier, à raison de certaines dîmes dont il dit que vous le frustrez et pour les dépenses desquelles je me retins de connaître. Pour tout cela, je désire vous voir ici jeudi prochain, afin que, s’il se peut, nous accommodions ces différends à la gloire de Dieu que je supplie de vous assister.
Je suis votre confrère très affectionné.

François, évêque de Genève »

Lettre de mars 1608. (EA, T13, p 170)

 

Favoriser la négociation.

 

Quel genre d’interventions François de Sales a-t-il lorsque des personnes ou des groupes sont en difficulté ?

 

Mettant à profit son éducation, sa formation, ses relations, il ne craint pas de s’adresser au Roi ou aux princes pour que miséricorde soit faite ou que justice soit rendue. Toujours, il agit avec la finesse et la délicatesse qui le caractérisent. Son entregent et sa diplomatie l’autorisent aussi à rappeler que la justice et la miséricorde font partie du devoir des gouvernants.

 

Au roi de France Henri IV, François écrit fin avril 1608, intercédant pour une cinquantaine de curés qu’il avait sous sa charge dans le Bugey.

 

        « Sire, …

Jusqu’à présent, nulle décime ne leur a été imposée de la part de Sa Majesté à la bonté de laquelle je recours maintenant pour eux et eux avec moi, afin qu’il lui plaise de les en exempter encore. pour quoi cette supplique ? Leur extrême pauvreté, puisque tous sont si chétifs en moyens qu’ils n’en ont que pour vivre misérablement … » E A, T14, p 6.

 

Avril ou mai 1621. Intervention auprès du Prince de Piémont en faveur du curés du Chablais, à qui devait revenir une part « sur la gabelle à sel du Chablais », part que refusaient de rendre les gabelous (ou gabeliers, c’est-à-dire, ceux qui étaient chargés de prélever cet impôt sur le sel, et, dont la réputation était de se servir au passage). Par rapport au droit de l’époque et du lieu, c’était injuste et François, avec courtoisie et fermeté, fait appel au souverain du lieu pour que justice soit respectée. De plus, il semblerait que le Prince lui-même ait agit avec injustice : la gabelle ayant servi à ses propres maisons. Donc, montée au créneau de François de Sales !

 

   « A Monseigneur et Sérénissime Prince de Piémont.

 

… Le Sieur Velasque a déclaré à l’évêque (= François lui-même), que jamais les curés n’auraient rien des gabelles prélevées parce qu’elles ont toutes été employées pour les maisons de Vos Altesses et autres assignations précises et qu’aucun ordre ne suffirait à y changer quoi que ce soit. Si finalement, les suppliants ont employé tant de peines, fait tant de frais et tant emprunté pour ces inutiles poursuites, continuant du moins mal qu’ils ont pu le service de leurs églises, s’ils recourent donc à votre Altesse, c’est pour que vous donniez, au nom de Dieu, un autre ordre et qu’ils soient effectivement payés et pour le passé, et pour l’avenir, puisque ce n’est que justice, équité, piété et conscience … »

E A, T 22, 1er volume des Opuscules p 238-240.

 

Gare aux mauvaises langues !

 

Etre prudent dans la manière dont on parle : on ne sait jamais comment c’est reçu ! On peut vraiment faire très mal sans le vouloir et scandaliser. Se méfier de la moquerie, elle est toujours au détriment de quelqu’un, souvent du plus faible sur tel ou tel point, elle est signe de mépris des personnes. Le mot mépris veut d’ailleurs dire qu’on accorde peu de prix, un mauvais prix à ce que vaut quelqu’un.

Attention aux jugements téméraires ! François n’y va pas par quatre chemins. juger autrui, c’est se prendre pour Dieu à qui seul revient le jugement des personnes. Juger le résultat d’un travail, c’est tout autre chose, juger un acte aussi. Juger quelqu’un, c’est déjà le condamner parce que c’est un manque de justice que d’usurper une place qui n’est pas la nôtre. Les jugements téméraires ont leur source dans notre propre cœur : on est râleur ou on s’imagine supérieur, on prend plaisir à voir le mal chez autrui, on veut se voiler à soi-même ses propres fautes, (« puisque les autres le font bien ! «  …), ou on s’amuse à essayer de décortiquer une personnalité, on est trop exigeant pour les autres

 

… En bon juriste, François distingue très bien le jugement des personnes de celui des actes.

«  … On ne peut donc jamais juger le prochain ? Non certes. … C’est un jugement téméraire de tirer conséquence d’un acte pour blâmer la personne … C’est le fait d’une âme inutile de s’amuser à l’examen de la vie d’autrui. … »

cf. IVD 3ème partie ch 28

 

Stop à la médisance. La médisance, c’est l’opposé de l’attitude du Seigneur à notre égard, il est bienveillant, bien-disant (c’est le sens du mot bénédiction), bienfaisant. La médisance, c’est dire du mal de quelqu’un, même un mal qu’on suppose réel. Gare à ces coups de langue ! Quelle injustice !

 

«  La médisance est une espèce de meurtre. …
Quiconque ôte injustement la bonne renommée à son prochain, outre le péché qu’il commet, il est obligé (tenu par lien légal, en quelque sorte) à faire réparation, diversement selon la diversité des médisances. … Le médisant, par un seul coup de sa langue » fait ordinairement trois meurtres : il tue son âme et celle de celui qui l’écoute, d’un homicide spirituel, et ôte la vie civile à celui duquel il médit. …
… c’est double péché de mentir et nuire au prochain !
Ne dites pas un tel est un ivrogne, encore que vous l’ayez
vu ivre ; … car un seul acte ne donne pas le nom à la chose.
Puisque la bonté de Dieu est si grande qu’un seul moment suffit pour impétrer et recevoir sa grâce, quelle assurance pouvons-nous avoir qu’un homme qui était pécheur hier le soit aujourd’hui.

Et ne pas tomber dans l’excès contraire : dire du bien mal à propos »

D’après IVD 3ème partie ch 20

 

Pas très difficile de voir que des collaborateurs, des étudiants, des patients sont vite catalogués avec les conséquences dénoncées par François de Sales. Prends garde à ta langue.

Considérer l’évaluation. Et bien la situer : évaluer un travail n’est pas juger une personne. La personne qui a réalisé tel travail a aussi son mot à dire. A toi seul, tu ne sais pas tout. Distingue ce qui a progressé de ce qui doit encore s’améliorer. Trouve les termes qui ouvrent une porte plutôt que ceux qui la ferment.

Casse net toute moquerie, tout mauvais coup de langue dans un groupe ; c’est
paralysant et injuste. Fais comprendre cela soit individuellement soit dans le groupe concerné. Dans ce dernier cas, certains exemples indirects sont souvent plus fructueux, telles les paraboles comme en utilisait Jésus.

 

Dénoncer les injustices.

 

« La justice cède l’aumône ; aussi est-il meilleur de payer ce que l’on doit que de faire l’aumône 15. »

Comment peut-on manquer de justice  ?
           Biens acquis injustement.
Biens retenus injustement.
Bien acquis justement mais avec cupidité.
Posséder avec avarice.
Détourner le but de l’usage de ses biens : abuser de ses biens, accumuler sans fin.
Etre cruel envers les pauvres.

 

Il est intéressant de voir concrètement ce que ces points veulent dire dans notre vie personnelle et dans notre vie collective, familiale, dans notre vie de citoyens d’un pays précis et d’habitants de la planète terre. Voilà un travail d’éducation pour aujourd’hui : ouvrir les frontières de notre cœur, de notre intelligence, de notre action. ...

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« Dieu est Dieu du cœur humain »               Un essai de pédagogie salésienne.

 

La pédagogie est affaire de cœur, d’action, de liberté, de compétence professionnelle.    J. Harvengt